Tribunal Europeu dos Direitos Humanos

2021-01-12 / 14:32

 

 

 

Direito a um processo equitativo: artigo 6.º da CEDH

 

AFFAIRE ALBUQUERQUE FERNANDES c. PORTUGAL | 50160/13 | Judgment (Merits and Just Satisfaction) | Court (Fourth Section) | 12/01/2021 |  Conclusion(s): Partiellement irrecevable (Art. 35) Conditions de recevabilité (Art. 35-1) Épuisement des voies de recours internes - Non-violation de l'article 6 - Droit à un procès équitable (Article 6 - Procédure constitutionnelle - Article 6-1 - Accès à un tribunal) | ECLI:CE:ECHR:2021:0112JUD005016013 | Document URL: http://hudoc.echr.coe.int/eng?i=001-207127

 

LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME

QUATRIÈME SECTION

 

AFFAIRE ALBUQUERQUE FERNANDES c. PORTUGAL

(Requête no 50160/13)

 

 

 

ARRÊT
 

Art 6 § 1 • Accès à une juridiction constitutionnelle • Conditions de recevabilité d’un recours contre un arrêt de la Cour suprême • Absence de formalisme excessif • Rétablissement par le Tribunal constitutionnel de la prééminence du droit après un acte de procédure erroné accompli par la requérante

 

STRASBOURG

12 janvier 2021

 

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à larticle 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

 

En laffaire Albuquerque Fernandes c. Portugal,

La Cour européenne des droits de lhomme (quatrième section), siégeant en une Chambre composée de :

Yonko Grozev, président,
Faris Vehabović,
Iulia Antoanella Motoc,
Armen Harutyunyan,
Gabriele Kucsko-Stadlmayer,
Lorraine Schembri Orland,
Alberto Augusto Andrade de Oliveira, juges,
et de Andrea Tamietti, greffier de section,

Vu :

la requête (no 50160/13) dirigée contre la République portugaise et dont une ressortissante de cet État, Mme Cristina Maria Albuquerque Fernandes (« la requérante »), a saisi la Cour en vertu de larticle 34 de la Convention de sauvegarde des droits de lhomme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 2 août 2013,

la décision de porter la requête à la connaissance du gouvernement portugais (« le Gouvernement ») le 31 octobre 2017,

les observations des parties,

le déport de Mme Guerra Martins, juge élue au titre du Portugal (article 28 du règlement de la Cour) et la décision du président de la chambre de désigner M. A. A. Andrade de Oliveira pour siéger en qualité de juge ad hoc (article 29 § 1 b) du règlement),

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 10 décembre 2020,

Rend larrêt que voici, adopté à cette date :

INTRODUCTION

1.  La requête concerne une procédure disciplinaire ouverte par le Conseil supérieur de la magistrature (« le CSM ») contre la requérante, juge de première instance au moment des faits, ayant abouti à sa mise à la retraite doffice (aposentação compulsiva). Sous langle de larticle 13 de la Convention, la requérante se plaint dune atteinte à son droit daccès à un tribunal. Invoquant larticle 6 § 1 de la Convention, elle allègue également une méconnaissance de son droit à un procès équitable.

EN FAIT

2.  La requérante est née en 1963 et réside à Coimbra. Elle a été représentée par Me J. Pais do Amaral, avocat.

3.  Le Gouvernement a été représenté par son agente, Mme M.F. da Graça Carvalho, procureure générale adjointe.

  1. LA PROCÉDURE DISCIPLINAIRE DEVANT LE CONSEIL SUPÉRIEUR DE LA MAGISTRATURE

4.  Au moment des faits, la requérante était juge au tribunal de Leiria.

5.  Par une décision du 22 février 2011, portée à la connaissance de la requérante le 18 mars 2011, le CSM décida douvrir une procédure disciplinaire contre celle-ci. En loccurrence, il reprochait notamment à lintéressée davoir emporté, au moment de sa mutation vers le tribunal de Leiria en septembre 2010, des dossiers dont elle était en charge au tribunal dAlcobaça et de ne pas les avoir rendus.

6.  Une juge instructrice (juíza instrutora) fut désignée pour instruire laffaire. Le 5 avril 2011, elle invita la requérante à lui remettre les dossiers en cause. Nayant pas reçu de retour favorable, la juge instructrice en informa le CSM, qui, par une décision du 10 mai 2011, décida dappliquer à la requérante une mesure de suspension provisoire pour une durée de 30 jours. La requérante en reçut notification le 17 mai 2011.

7.  Dans lintervalle, afin dinstruire la procédure disciplinaire, la juge instructrice avait entendu la requérante le 9 mai 2011. Elle avait ensuite entendu des juges et des greffières qui exerçaient au tribunal dAlcobaça ainsi que le représentant de lordre des avocats dAlcobaça.

  1. Lacte daccusation et la défense de la requérante

8.  Le 18 juillet 2011, la juge instructrice dressa son acte daccusation contre la requérante, en application de larticle 117 du Statut des magistrats du siège (« le Statut »).

9.  En premier lieu, lacte daccusation relevait que la requérante avait accusé des retards dans le traitement de dossiers, notamment urgents, lorsquelle se trouvait en fonction au tribunal dAlcobaça. Cette partie était libellée comme suit :

«

(...)

2. [Laccusée], tout au long de son parcours au tribunal dAlcobaça, a exercé ses fonctions en faisant preuve dun manque dattention par rapport aux exigences liées au service, engendrant [ainsi] un retard dans la prise des décisions finales et interlocutoires portant sur le fond, provoquant une accumulation daffaires civiles pendantes, tel quil ressort du rapport dinspection judiciaire extraordinaire du 3 novembre 2009 (...) qui indique que [laccusée] retenait, sans avoir statué, approximativement une centaine daffaires avec des délais dépassés allant jusquà 28 mois.

3. En dépit de cela, méprisant les recommandations qui lui avaient également été adressées dans des rapports dinspection précédents, ignorant les exigences afférentes à la fonction de juger, [laccusée] na pas remonté la pente jusquau terme de sa prestation au tribunal dAlcobaça.

4. En effet, elle a toujours démontré un manque de contrôle accru et une absence de préoccupation quant à lélaboration de décisions en temps utile, y compris sagissant daffaires de nature urgente (...) »

Lacte daccusation notait, par ailleurs, que des plaintes avaient été déposées contre lintéressée à ce sujet auprès du CSM. Il indiquait aussi que, fin juillet 2010, la requérante navait toujours pas rendu de décisions dans 210 affaires.

Lacte daccusation concluait, sur ce point, que la requérante avait méconnu son devoir de zèle et dobéissance aux instructions du CSM.

10.  En deuxième lieu, lacte daccusation indiquait ce qui suit : après avoir quitté le tribunal dAlcobaça, la requérante avait emporté 19 dossiers de procédures dont elle était en charge, sans demander lautorisation du CSM et sans informer la présidente du tribunal dAlcobaça ou même les greffières du tribunal ; or, en septembre 2010, la présidente du tribunal dAlcobaça avait téléphoné à la requérante pour lui demander de rendre lesdits dossiers et celle-ci ne les avait restitués quen mai 2011, après que le CSM lui eut appliqué une suspension de lexercice de ses fonctions dune durée de 30 jours ; en outre, lintéressée avait rendu ces dossiers sans avoir pour autant statué sur les affaires en cause. La juge instructrice estimait que, en ne répondant pas à linjonction expresse lui ordonnant de rendre ces dossiers, la requérante avait empêché ladministration de la justice et avait porté atteinte de façon irrémédiable au prestige de la magistrature et à limage du tribunal dAlcobaça.

11.  Pour finir, lacte daccusation faisait état des sanctions disciplinaires qui avaient été appliquées à la requérante au cours de son parcours professionnel ainsi que des notes dappréciation professionnelle que celle-ci avait obtenues, comme suit :

«  (...)

31. Dans son registre disciplinaire, sont inscrites les sanctions suivantes : dix joursamende par une décision du 16 juin 1998 ; dix jours-amende par une décision du 10 février 2001 ; quinze jours-amende par une décision du 19 février 2001 ; vingt jours-amende par une décision du 12 avril 2001 ; 22 jours-amende par une décision du 21 mai 2002 ; 25 jours-amende par une décision du 25 mars 2003 ; et sept mois de suspension et un transfert par une décision du 21 novembre 2006.

32. La juge accusée a obtenu les notes dappréciation professionnelle (notações classificativas) suivantes : « bien », « bien », « suffisant », « suffisant », « médiocre » et « suffisant ».

(...) »

12.  La conclusion finale de lacte daccusation se lisait comme suit :

« (...) les faits décrits [ci-dessus] et commis par [lintéressée] constituent une violation continue de [son devoir] (...) de zèle, du devoir dadministrer la justice, du devoir de susciter la confiance du public dans ladministration de la justice et de ses devoirs de respect et dobéissance à lorgane en charge de la gestion et de la discipline de la magistrature du siège, prévus aux articles 3, 4, 32, 82, 85 § 1 b), 87, 92, 93 et 131 du Statut des magistrats du siège et aux articles 3 §§ 1, 2, 3 et 4 b) et c) et 6 et 7 du Statut disciplinaire des fonctionnaires (...) »

13.  Lacte daccusation fut porté à la connaissance de la requérante.

14.  Le 1er septembre 2011, la requérante présenta personnellement sa défense, conformément à larticle 118 § 1 du Statut (paragraphe 33 cidessous). Elle y contestait les faits qui lui étaient reprochés. Dune part, elle niait avoir eu 210 dossiers en attente dune décision en juillet 2010. Dautre part, elle alléguait avoir informé les greffières du tribunal dAlcobaça quelle emportait quelques dossiers avec elle au moment de son départ de ce tribunal. Par ailleurs, elle soutenait avoir des problèmes de santé et souffrir danxiété, indiquant quelle allait transmettre un certificat médical.

15.  Le 13 septembre 2011, tenant compte des arguments présentés par la requérante en sa défense, la juge instructrice entendit de nouveau les greffières du tribunal dAlcobaça. Celles-ci réaffirmèrent ne pas avoir été informées par la requérante que cette dernière emportait des dossiers avec elle au moment de son départ du tribunal.

  1. Le rapport final de la juge instructrice et la décision du CSM

16.  Le 29 septembre 2011, la juge instructrice présenta son rapport final au CSM, en application de larticle 122 du Statut (paragraphe 33 cidessous). Elle considéra, dans ce document, que les faits reprochés à la requérante étaient établis. Observant que lintéressée avait omis de joindre le certificat médical quelle sétait engagée à produire dans le cadre de sa défense, la juge instructrice estima toutefois comme établies les périodes pendant lesquelles la requérante avait été absente pour raisons de santé du tribunal de Leiria. Elle confirma donc lacte daccusation en y ajoutant ce dernier élément factuel. Elle confirma également la qualification des faits telle quelle figurait dans lacte daccusation, comme suit :

« (...) les faits décrits [ci-dessus] et commis par [lintéressée] constituent une violation continue de [son devoir] (...) de zèle, du devoir dadministrer la justice, du devoir de susciter la confiance du public dans ladministration de la justice et de ses devoirs de respect et dobéissance à lorgane en charge de la gestion et de la discipline de la magistrature du siège, prévus aux articles 3, 4, 32, 82, 85 § 1 b), 87, 92, 93 et 131 du Statut des magistrats du siège et aux articles 3 § § 1, 2, 3 et 4 b) et c) et 6 et 7 du Statut disciplinaire des fonctionnaires (...) »

17.  Quant à la sanction à appliquer, elle proposa la mise à la retraite doffice (aposentação compulsiva) de la requérante. En ses parties pertinentes en lespèce, les conclusions du rapport final étaient les suivantes :

« (...)

Tel quil ressort des faits imputés [à lintéressée], celle-ci na pas appliqué une méthode et une technique de travail adéquates pour permettre la prise en temps utile de la majeure partie des décisions interlocutoires et finales dans des procédures de juridiction civile dont elle était en charge au tribunal dAlcobaça depuis février 2007, [et ce] jusquau 31 juillet 2010, donnant lieu à une insoutenable accumulation de travail, sans justification.

Lorsque la majeure partie des procédures arrivaient à la phase cruciale de décision/jugement (...), elle laissait les parties pendant longtemps dans une obscurité profonde quant à lissue du litige, y compris en omettant le devoir légal détablir les faits après la tenue des audiences, oubliant même la nature urgente du traitement dune mesure conservatoire pendant deux ans !

En outre, alors quelle était encore au tribunal dAlcobaça, une inspection extraordinaire a été réalisée en raison de son inertie professionnelle. Le rapport [de cette inspection] montre clairement que, en mai 2009, [lintéressée] avait [en charge] 108 procédures finalisées qui attendaient une décision, soit un jugement soit une décision préliminaire, avec des délais légaux qui étaient dépassés de un à vingt-sept mois. À cela, sajoutaient 22 procédures ayant fait lobjet dune décision à des dates dépassant de six mois à deux ans le délai légal.

(...)

En outre, les retards constatés dans les dossiers attribués à [lintéressée] dans la majeure partie des tribunaux où elle a exercé, tel que relevé dans son dossier professionnel auprès du CSM et le dernier rapport dinspection, montrent de façon évidente la persistance chronique dune insuffisance grave au niveau professionnel.

De la même façon, les notes dappréciation professionnelle lui ayant été attribuées au cours de sa carrière ont été « bien », « suffisant », « médiocre » et « suffisant », ce qui montre sa faible capacité de travail.

Pour couronner [le tout], alors quelle avait été transférée à sa demande dans le ressort de Leiria (...) en juillet 2010, lintéressée a demandé tous les dossiers sur lesquels elle navait pas statué à temps au tribunal dAlcobaça. Elle les a ensuite emportés avec elle, les sortant ainsi de leur ressort, pour prendre une décision de façon atavique (atavicamente).

En agissant ainsi, elle a porté atteinte aux devoirs élémentaires liés à la fonction, causant une perturbation grave dans le fonctionnement normal des services du tribunal dAlcobaça, générant appréhension et alerte auprès du CSM face à sa persistance à ne pas rendre les dossiers quelle retenait de façon injustifiée en désobéissant aux ordres directs à cet égard, ignorant et ternant ainsi limage de linstitution.

Par ailleurs, du point de vue disciplinaire, [lintéressée] représente un mauvais exemple. Elle totalise sur son registre neuf procédures disciplinaires ayant abouti à lapplication de 10 jours-amende (à deux reprises), de 15 jours-amende, de 29 joursamende, de 12 jours-amende, de 25 jours-amende, de sept mois de suspension et dun transfert.

Il ressort donc de la pondération de la sanction à appliquer que [lintéressée] a abandonné lengagement quelle avait pris au moment de sa prise de fonction [en tant que juge] et quil ny a pas despoir quant à lirréversibilité de lincapacité et linaptitude professionnelles.

Dès lors, vu lampleur et lintensité des violations des devoirs liés à la fonction, révélatrices de lincapacité définitive dadaptation aux exigences de la fonction, je propose, comme étant adéquate, la sanction de mise à la retraite doffice, sans préjudice du droit à la pension fixée par la loi. »

18.  Le 13 décembre 2011, lAssemblée plénière du CSM rendit sa décision, par laquelle elle appliqua la sanction qui avait été proposée par la juge instructrice, en se référant aux articles 95 § 1 a) et 106 du Statut (paragraphe 33 ci-dessous). Eu égard aux faits qui avaient été considérés comme établis dans le rapport final de la juge instructrice, le CSM concluait comme suit, en les parties pertinentes en lespèce de sa décision :

« (...)

Nous considérons, ainsi, que [lintéressée] a violé les devoirs de zèle, dadministrer la justice et de susciter la confiance du public dans cette administration, dobéissance et de correction, prévus aux articles 3, 32, 82, 85 et 131 du Statut des magistrats du siège, et encore, en vertu de cette dernière disposition, à larticle 3 §§ 1, 2 e), f) et h), 7 et 10 du Statut disciplinaire des personnes exerçant des fonctions publiques approuvé par la loi no 58/2008 du 9 septembre 2008.

(...)

(...) [lintéressée] a, au fil du temps (et non pas seulement présentement), révélé une difficulté persistante à faire face à ses obligations professionnelles, comme le démontrent les diverses procédures disciplinaires et ses classements (du moins les derniers). Il sagit ainsi dun problème de capacité à répondre aux exigences minimales dans lexercice dune fonction chargée dépines. Nous jugeons, eu égard à ce qui a été dit, que [lintéressée] ne montre pas être dotée de la capacité [requise] pour faire face aux exigences de la fonction.

En conclusion, nous sommes daccord avec la juge instructrice lorsquelle propose lapplication dune sanction de mise à la retraite doffice (articles 95 § 1 a) et 106 du Statut des magistrats du siège).

(...) »

  1. LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR SUPRÊME

19.  Le 16 janvier 2012, la requérante forma un recours devant la section du contentieux de la Cour suprême (Secção do Contencioso do Supremo Tribunal de Justiça) contre la décision du CSM. Elle y alléguait que lacte daccusation nindiquait pas quelle faisait montre dune inaptitude pour lexercice de la profession ou dune incapacité à sadapter aux exigences de la fonction. Elle disait quelle navait pu anticiper la sanction quelle encourait, et quelle avait par conséquent été prise au dépourvu par la décision du CSM. Elle y voyait donc une atteinte à son droit de se défendre, garanti par larticle 32 § 10 de la Constitution (paragraphe 30 ci-dessous), ainsi quà son droit dêtre entendue, garanti par larticle 110 § 2 du Statut (paragraphe 33 cidessous).

20.  En outre, elle arguait de linconstitutionnalité de larticle 117 § 1 du Statut en ces termes :

« (...) larticle 117 § 1 du [Statut] est inconstitutionnel en ce quil porte atteinte au principe de légalité, au droit à un procès équitable et au droit de se défendre et dêtre entendu (qui implique que lintéressé doit savoir par rapport à quoi il est en train de se défendre), prévus, entre autres, aux articles 13, 20 § 4, 32 § et 269 § 3 de la Constitution, sil est interprété de façon à être lu au sens littéral, nimpliquant pas ou dispensant que lacte daccusation fasse référence aux sanctions applicables, en particulier lorsque sont en cause des sanctions emportant exclusion. »

21.  À une date non précisée, le CSM déposa son mémoire en réponse. Il y exposait que, daprès le Statut, la sanction applicable aux faits litigieux ne devait être indiquée que dans le rapport final du juge instructeur, et non pas dans lacte daccusation. En outre, selon lui, la requérante aurait pu anticiper la sanction quelle encourait compte tenu des faits qui lui étaient reprochés dans lacte daccusation, lequel avait été porté à sa connaissance.

22.  Par un arrêt du 19 septembre 2012, la Cour suprême rejeta le recours de la requérante. Sagissant de largument tiré du défaut daudition de lintéressée au sujet de la sanction, du fait de labsence de mention de celleci dans lacte daccusation, la Cour suprême rappela que larticle 117 § 1 du Statut ne prévoyait pas que lacte daccusation devait préciser la sanction encourue. Elle estima que, en labsence de lacunes sur ce point dans le Statut, larticle 48 § 3 de la loi no 58/2008 du 9 septembre 2008 portant Statut disciplinaire des personnes exerçant des fonctions publiques (paragraphe 37 ci-dessous) ne sappliquait pas. En outre, elle souligna que larticle 122 du Statut disposait bien que la sanction encourue devait être indiquée dans le rapport final du juge instructeur. La Cour suprême rejeta ensuite les arguments fondés sur linconstitutionnalité alléguée de linterprétation qui avait été faite de larticle 117 § 1 du Statut. Elle sexprima comme suit :

« (...)

Cest ainsi dans le rapport final que le juge instructeur, après avoir recueilli les éléments devant être pris en considération, fait sa proposition de sanction, laquelle ne lie naturellement pas le CSM, lorgane décideur.

Il nest pas surprenant – et ceci ne porte pas atteinte au principe consacré à larticle 13 de la Constitution – quil existe des différences (diverses) entre le statut applicable de façon générale à des employés qui exercent des fonctions publiques et le Statut des magistrats du siège, qui est un statut propre aux juges, qui, comme nous le savons, sont des représentants dun organe souverain soumis à des droits et des devoirs spécifiques, en accord avec la fonction quils exercent.

(...)

Le droit dêtre entendue [de lintéressée] a été garanti au moment de la notification du rapport dinspection (...) Or celui-ci comprend les faits qui figuraient dans laccusation. [En outre], la proposition qui y est formulée ne lie pas lorgane décideur, celui-ci pouvant accueillir ou non la proposition faite.

En fixant la sanction, le CSM est limité par rapport aux faits. Il doit se conformer [à ces derniers], y compris dans son raisonnement juridique (...). En effet, lappréciation des faits relève du pouvoir discrétionnaire technique. Sil est discrétionnaire, il nest toutefois pas arbitraire. Lappréciation normative faite est liée à ces éléments de fait.

(...)

Tel que relevé par le [CSM], la conclusion à laquelle [celui-ci] est parvenu [en lespèce], en appliquant une sanction de mise à la retraite doffice, découle du rapport final (conformément à larticle 122 du Statut indiqué ci-dessus), après mise en balance de lensemble des preuves ayant été produites et des éléments factuels qui, dans leur essence, figuraient déjà dans lacte daccusation.

Nous estimons donc que ce qui est prévu par le Statut a été respecté. Pour ces mêmes raisons, en outre, linconstitutionnalité alléguée est à écarter. »

  1. LE RECOURS CONSTITUTIONNEL FORMÉ PAR LA REQUÉRANTE ET LES ARRÊTS DU TRIBUNAL CONSTITUTIONNEL

23.  La requérante introduisit un recours devant le Tribunal constitutionnel. Elle alléguait navoir pas pu se défendre par rapport à la sanction qui lui avait été infligée. Elle exposait que lacte daccusation au regard duquel elle avait présenté sa défense sorientait vers lapplication dune amende ou dun transfert, tel que lindiquaient les dispositions qui y étaient citées. Elle affirmait avoir, par conséquent, été prise au dépourvu par la décision du CSM de lui appliquer la sanction de mise à la retraite doffice. Elle arguait donc de linconstitutionnalité de larticle 117 § 1 du Statut, au regard des articles 13, 20 § 4, 32 §§ 1, 2 et 10 et 269 § 3 de la Constitution (paragraphes 28, 29, 30 et 31 ci-dessous), « (...) lorsque [cet article], notamment concernant la partie « indiquant les dispositions légales applicables » [était] interprété et intégré, concrètement, avec un sens (restrictif) selon lequel la norme nimpliqu[ait] pas ou dispens[ait] que, dans lacte daccusation, il [fût] fait référence aux sanctions qui [étaient] applicables à laccusé ou [fût] porté à la connaissance de [celui-ci] les[dites] sanctions, surtout lorsque [étaient] en cause des sanctions emportant exclusion ».

24.  Elle ajoutait quune telle interprétation violait larticle 110 § 2 du Statut, prévoyant les droits de laccusé dêtre entendu et de se défendre.

  1. La décision sommaire du Tribunal constitutionnel du 28 novembre 2012

25.  Par une décision sommaire du 28 novembre 2012, le Tribunal constitutionnel, statuant en formation de juge unique, déclara le recours irrecevable au motif que la décision litigieuse navait pas appliqué larticle 117 § 1 du Statut dans le sens allégué par la requérante, tel quexigé par larticle 79-C de la loi organique sur le Tribunal constitutionnel (« la LOTC »  paragraphe 32 ci-dessous). Les parties pertinentes en lespèce de cette décision se lisaient comme suit :

«  La décision attaquée na pas appliqué effectivement cette interprétation. Au contraire, la décision attaquée ne sest pas limitée à adopter une telle interprétation (réductrice). Elle a ajouté que lidentification expresse de la sanction disciplinaire potentiellement applicable se ferait dans le cadre du rapport final, qui serait élaboré par le juge instructeur de la procédure disciplinaire conformément à larticle 122 du Statut.

(...)

La décision attaquée naffirme, ainsi, à aucun moment, que la recourante a pu être [empêchée] de connaître la sanction potentiellement applicable ou dy réagir. Au contraire, elle a considéré que linclusion, dans lacte daccusation, des faits qui justifiaient lapplication des dispositions légales en cause permettait déjà à la recourante danticiper [la sanction encourue] et de se défendre, de façon juste et effective. Ainsi, elle a considéré quil était possible de déduire des faits figurant dans lacte daccusation la possibilité que fût appliquée une sanction de mise à la retraite doffice.

(...) »

  1. Larrêt du comité de trois juges du Tribunal constitutionnel du 31 janvier 2013

26.  La requérante forma une opposition contre la décision sommaire susmentionnée devant le comité de trois juges (conferência) du Tribunal constitutionnel, alléguant que celle-ci témoignait dun excès de formalisme. Son raisonnement à cet égard sarticulait autour de trois idées.

Premièrement, lintéressée réitérait avoir été induite en erreur par lacte daccusation, qui selon elle faisait référence à une sanction corrective (pena correctiva).

Deuxièmement, elle exposait que la mention de la sanction dans le rapport final nétait pas pertinente au motif que celui-ci nétait porté à la connaissance de laccusé quavec la décision finale du CSM.

Troisièmement, elle indiquait que la question de la conformité à la Constitution de linterprétation de larticle 117 § 1 du Statut avait bien été examinée par la Cour suprême, et que par conséquent le Tribunal constitutionnel était en mesure de se prononcer à ce sujet également.

27.  Par un arrêt du 31 janvier 2013, le comité de trois juges confirma la décision sommaire du 28 novembre 2012, jugeant que linterprétation alléguée nétait pas celle qui avait été appliquée en loccurrence par le CSM. La conclusion de cet arrêt se lisait ainsi :

« (...)

Comme il a été démontré de façon extensive dans la décision faisant lobjet de la présente opposition, la décision attaquée a adopté une interprétation normative de larticle 117 du Statut plus large que celle indiquée par la recourante. Elle a considéré que le droit [de lintéressée] dêtre entendue était garanti par la notification du rapport dinspection et que lidentification de la peine applicable figurait dans le rapport final. »

LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE PERTINENTS

  1. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS 
    1. La Constitution portugaise

28.  Larticle 13 de la Constitution garantit le droit à légalité.

29.  Larticle 20 § 4 de la Constitution garantit le droit à un procès équitable.

30.  Les droits procéduraux en matière pénale sont consacrés à larticle 32 de la Constitution, dont les droits de la défense (article 32 § 1), le droit à la présomption dinnocence (article 32 § 2) et le droit dêtre entendu (article 32 § 10).

31.  Les autres dispositions pertinentes en lespèce de la Constitution se lisent ainsi :

Article 204

Appréciation de linconstitutionnalité

« Les tribunaux ne peuvent appliquer aux faits donnant lieu à un jugement des normes qui enfreignent les dispositions de la Constitution ou les principes qui y sont consignés. »

Article 216

Garanties et incompatibilités

« 1. Les juges sont inamovibles. Ils ne peuvent être mutés, suspendus, mis à la retraite ou démis de leurs fonctions en dehors des cas prévus par la loi.

2. La responsabilité des juges ne peut être engagée à raison de leurs décisions, sauf exceptions prévues par la loi.

(...) »

Article 221

Définition

« Le Tribunal constitutionnel est le tribunal ayant compétence spécifique pour administrer la justice en matière juridico-constitutionnelle. »

Article 269 § 3

« Toute personne qui fait lobjet dune procédure disciplinaire a le droit dêtre entendue et de présenter sa défense. »

Article 280

Le contrôle concret de la constitutionnalité ou de la légalité

« 1. Il est possible de former un recours devant le Tribunal constitutionnel contre les décisions des tribunaux :

(...)

b) qui appliquent une norme dont linconstitutionnalité a été excipée au cours de la procédure.

(...)

4. Les recours prévus à lalinéa b) du paragraphe 1 (...) ne peuvent être introduits que par la partie qui a soulevé la question de linconstitutionnalité ou de lillégalité, la loi devant régir le régime dadmission de ces recours.

(...)

6. Les recours devant le Tribunal constitutionnel se limitent aux questions dinconstitutionnalité ou dillégalité, en fonction des cas. »

  1. La loi organique sur le Tribunal constitutionnel

32.  Les dispositions pertinentes en lespèce de la loi organique sur le Tribunal constitutionnel (« la LOTC ») (approuvée par le décret-loi no 28/82 du 15 novembre 1982) se lisent comme suit :

Article 41

Chambres

« 1. Il y a trois chambres non spécialisées [au sein du Tribunal constitutionnel]. Chacune dentre elles est composée du président ou du vice-président du Tribunal [constitutionnel] et de quatre autres juges.

2. La répartition des juges, y compris le vice-président, dans les chambres ainsi que le choix de la chambre normalement présidée par le vice-président seront effectués par le Tribunal [constitutionnel] au début de chaque année judiciaire. »

Article 70 § 1

Décisions pouvant faire lobjet dun recours

« Peuvent faire lobjet dun recours devant le Tribunal constitutionnel, réuni en chambre (secção), les décisions des tribunaux :

(...)

b) qui appliquent une norme dont linconstitutionnalité a été excipée au cours de la procédure ;

(...) »

Article 72 § 2

Personnes habilitées à saisir [le Tribunal constitutionnel]

« Les recours prévus aux alinéas b) et f) du paragraphe 1 de larticle 70 ne peuvent être introduits que par la partie qui a soulevé la question de linconstitutionnalité ou de lillégalité de manière adéquate au niveau procédural devant le tribunal qui a rendu la décision attaquée, obligeant celui-ci à connaître de la question. »

Article 75-A

Présentation du recours

« 1. Le recours devant le Tribunal constitutionnel est formé au moyen dune demande mentionnant lalinéa du paragraphe 1er de larticle 70 en vertu duquel le recours est présenté et la norme dont linconstitutionnalité ou lillégalité doit être appréciée par le Tribunal.

2. Quand le recours est présenté en vertu des alinéas b) et f) du paragraphe 1er de larticle 70, la demande doit également indiquer la norme ou le principe constitutionnel ou légal qui est considéré comme violé, ainsi que la pièce procédurale dans laquelle lauteur de la demande a soulevé la question de linconstitutionnalité ou de lillégalité.

(...)

5. Si la demande introductive de recours omet de mentionner lun des éléments prévus dans le présent article, le juge invitera le requérant à fournir cette indication dans un délai de 10 jours.

6. Les dispositions des paragraphes précédents sont applicables par le rapporteur près le Tribunal constitutionnel, lorsque le juge ou le rapporteur qui a admis le recours en inconstitutionnalité na pas procédé à linvitation mentionnée au paragraphe 5.

7. Si le requérant ne répond pas à linvitation faite par le rapporteur près le Tribunal constitutionnel, le recours est aussitôt considéré comme sans effet (deserto). »

Article 76

Décision sur la recevabilité

« (...)

2. Le mémoire en recours formé devant le Tribunal constitutionnel doit être rejeté lorsquil ne satisfait pas aux critères de larticle 75-A, y compris, le cas échéant, après la correction prévue au paragraphe 5, lorsque le recours a été introduit en dehors du délai, lorsque le recourant na pas qualité pour agir ou encore, dans le cas des recours prévus aux alinéas b) et f) de larticle 70 § 1, lorsque ceux-ci sont manifestement mal fondés.

4. Lordonnance qui déclare le recours irrecevable (...) peut être attaquée par la voie de lopposition devant le Tribunal constitutionnel. »

Article 78-A

Examen préliminaire et décision sommaire du rapporteur

« 1. Sil estime quil ne peut connaître de lobjet du recours ou que la question à laquelle il doit répondre est simple, notamment parce quelle a déjà fait lobjet dune décision antérieure du Tribunal ou parce quelle est manifestement mal fondée, le rapporteur adopte une décision sommaire qui peut consister en un simple renvoi vers la jurisprudence antérieure du Tribunal.

(...)

3. Il est possible de contester la décision sommaire du rapporteur devant le comité de trois juges, qui est composé du président ou du vice-président, du rapporteur et dun autre juge de cette même chambre, désignés par lassemblée plénière de la section (pleno da secção) à chaque année judiciaire.

4. Le comité de trois juges rend une décision définitive sur les oppositions (reclamações) lorsque les juges intervenant prennent cette décision à lunanimité. Sil ny a pas unanimité, la décision est prise par lassemblée plénière de la chambre.

5. Sil ny a pas lieu dappliquer ce qui est prévu au paragraphe 1 et lorsque le comité de trois juges ou lassemblée plénière de la chambre décident de connaître de lobjet du recours, le rapporteur en informe le recourant afin que celui-ci soumette ses conclusions en recours (alegações).

(...) »

Article 79-C

Pouvoirs de contrôle du Tribunal [constitutionnel]

« Le Tribunal peut uniquement juger inconstitutionnelle ou illégale la norme que la décision attaquée, en fonction des cas, a appliquée ou a refusé dappliquer. Il peut toutefois le faire en se fondant sur la violation de normes ou principes constitutionnels ou légaux différents de ceux dont la violation a été alléguée. »

Article 80

Effets de la décision

« 1. La décision sur le recours a autorité de la chose jugée dans la procédure quant à la question de linconstitutionnalité ou de lillégalité ayant été soulevée.

2. Si le Tribunal constitutionnel fait droit au recours, même partiellement, il renvoie le dossier au tribunal doù [celui-ci] est issu, afin que ce tribunal, en fonction de laffaire, réforme sa décision ou en ordonne la réforme conformément au jugement portant sur la question de linconstitutionnalité ou de lillégalité.

3. Si le jugement portant sur le caractère constitutionnel ou légal de la norme que la décision attaquée a appliquée ou a refusé dappliquer se fonde sur une interprétation donnée de cette même norme, cette dernière doit être appliquée avec la même interprétation dans la procédure en cause.

4. Lorsque la décision déclarant le recours irrecevable ou le rejetant passe en force de chose jugée, la décision attaquée passe elle aussi en force de chose jugée si tous les recours internes ont été épuisés. Dans le cas contraire, le délai pour interjeter appel commence à courir.

(...) »

 

  1. Le Statut des magistrats du siège
    1. Le Statut des magistrats du siège en vigueur au moment des faits

33.  Les dispositions pertinentes en lespèce de la loi no 21/85 du 30 juillet 1985 relative au Statut des magistrats du siège (Estatuto dos Magistrados Judiciais – « le Statut »), en vigueur au moment des faits, étaient ainsi libellées :

Article 3

Fonction de la magistrature du siège

« 1. La fonction de la magistrature du siège est dadministrer la justice conformément aux sources auxquelles, selon la loi, elle doit recourir et de faire exécuter ses décisions.

2. Les magistrats du siège ne peuvent pas sabstenir de juger au motif quil ny a pas de loi ou que celle-ci nest pas claire ou présente des ambiguïtés, ou lorsquils ont un doute insurmontable (insanável) par rapport à un litige, si celui-ci peut être juridiquement réglé. »

Article 4

Indépendance

« 1. Les magistrats du siège jugent sur la seule base de la Constitution et de la loi. Ils ne sont soumis à aucun ordre ni aucune instruction, sous réserve du devoir, pour les juridictions inférieures, de se conformer aux décisions rendues par les juridictions supérieures sur un recours.

2. Le devoir dobéir à la loi comprend le droit de respecter les jugements de valeur légaux, même lorsquil sagit de résoudre des hypothèses non spécialement prévues. »

Article 32

Dispositions subsidiaires

« Le régime de la fonction publique sapplique de façon subsidiaire aux magistrats du siège, sagissant des devoirs, incompatibilités et droits. »

Article 82

Infraction disciplinaire

« Constituent une infraction disciplinaire les faits, même si commis avec une simple faute, accomplis par les magistrats du siège en violation des devoirs professionnels (...) »

[Types de sanction]

Article 85 – Échelle des sanctions

« 1. Les magistrats peuvent faire lobjet des sanctions suivantes :

a) avertissement ;

b) amende ;

c) mutation ;

d) suspension ;

e) mise à pied (inatividade) ;

f) mise à la retraite doffice (aposentação compulsiva) ;

g) révocation.

(...)

4. La peine prévue à lalinéa a) du paragraphe 1 peut être appliquée quelle que soit la procédure, à condition quil y ait audience et possibilité pour laccusé de se défendre et quelle ne soit pas sujette à enregistrement.

5. Dans la situation indiquée au paragraphe précédent, le rapport de linspecteur judiciaire est porté à la connaissance de laccusé, un délai étant fixé pour lexercice de la défense. »

Article 87

Amende

« Lamende est fixée en jours, et peut aller de cinq à quatre-vingt-dix jours. »

[Application des sanctions]

Article 92

Amende

« Lamende est applicable aux situations de négligence ou de manque dintérêt pour le respect des devoirs inhérents au poste. »

Article 93

Transfert

« Le transfert est prononcé dans le cas dinfractions qui impliquent une atteinte au prestige attendu du magistrat pour quil puisse rester dans le milieu où il exerce ses fonctions. »

Article 95

Mise à la retraite doffice et révocation

« 1. La mise à la retraite doffice et la révocation peuvent être prononcées lorsque le magistrat :

a) fait preuve dune incapacité définitive dadaptation aux exigences de la fonction ;

(...)

c) fait preuve dune inaptitude professionnelle.

(...) »

[Effets des sanctions]

Article 102

Amende

« Lamende est mise en œuvre par le prélèvement sur le traitement du magistrat du montant correspondant au nombre de jours damende infligés. »

Article 104

Suspension

« La suspension entraîne une déduction de la durée [correspondant à la sanction] prise en compte aux fins de la rémunération, de lancienneté et de la retraite. »

Article 106

Mise à la retraite doffice

« La mise à la retraite doffice implique le détachement immédiat du service et la perte des droits et autres bénéfices attribués par ce Statut, sans préjudice du droit à la retraite fixée par la loi. »

[Normes procédurales]

Article 110 § 2

Procédure disciplinaire

« (...) [L]a procédure disciplinaire est écrite et nest soumise à aucune formalité, hormis lobligation dentendre laccusé et de lui octroyer le droit de présenter sa défense. »

Article 117 § 1

Acte daccusation

« Une fois linstruction terminée et un extrait du registre disciplinaire de laccusé annexé au dossier, le juge instructeur dresse lacte daccusation dans un délai de dix jours ; il y expose de manière détaillée les faits qui constituent linfraction disciplinaire et ceux qui relèvent de circonstances aggravantes ou atténuantes et quil estime avérés, ainsi que les dispositions légales applicables en lespèce. »

Article 118 § 1

Notification à laccusé

« Une copie de lacte daccusation est remise à laccusé ou lui est adressée par voie postale par lettre recommandée avec accusé de réception ; un délai, pouvant aller de dix à trente jours, est fixé pour la présentation de sa défense par lintéressé. »

Article 120

Consultation du dossier

« Pendant le délai imparti pour la présentation de la défense, laccusé, son défenseur commis doffice ou son conseil peuvent consulter le dossier dans les locaux [du CSM]. »

Article 121

Défense de laccusé

« 1. Pour sa défense, laccusé peut citer des témoins, communiquer des documents ou solliciter des mesures dinstruction (diligências).

2. Peuvent être présentés pour chaque fait trois témoins au maximum. »

Article 122

Rapport [du juge instructeur]

« Une fois linstruction terminée, le juge instructeur dresse son rapport dans un délai de quinze jours ; ce rapport contient :

a) létablissement des faits,

b) leur qualification juridique, et

c) la sanction applicable. »

Article 123

Notification de la décision

« La décision définitive, accompagnée dune copie du rapport visé à larticle précédent, est portée à la connaissance de laccusé (...) »

Article 124

Nullités et irrégularités

« 1. Le manquement à entendre laccusé de manière à lui laisser la possibilité de se défendre et le manquement à prendre en temps utile les mesures essentielles à la manifestation de la vérité qui sont réalisables constituent des causes de nullité irréparable.

2. Les autres irrégularités ou causes de nullité sont considérées comme réparées si elles ne sont pas soulevées dans le mémoire en défense ou, si elles ont eu lieu à une date ultérieure [à la présentation du mémoire], dans un délai de cinq jours à compter de la date à laquelle lintéressé en a pris connaissance. »

Article 131

Droit subsidiaire

« Les normes régissant le statut des fonctionnaires (...) sont applicables à titre subsidiaire, de même que le code pénal, le code de procédure pénale (...) »

[Recours]

Article 168 – Recours

« 1. Les décisions du Conseil supérieur de la magistrature sont susceptibles de recours devant la Cour suprême.

2. Aux fins de lexamen du recours cité au paragraphe précédent, la Cour suprême siège en une formation constituée du plus ancien de ses vice-présidents, disposant dune voix prépondérante, et dun juge de chacune de ses sections, nommé annuellement et successivement en fonction de son ancienneté.

(...)

5. Les moyens de recours sont ceux prévus par la loi pour la contestation des actes du gouvernement. »

  1. Le Statut des magistrats du siège en vigueur à la suite des modifications apportées par la loi no 67/2019 du 27 août 2019

34.  Faisant suite à la réforme du système judiciaire lancée en 2013 en vue de lamélioration de ladministration de la justice au Portugal, le gouvernement a publié au Journal officiel le 4 avril 2018 une proposition de loi visant à amender le Statut des magistrats du siège (Proposta de Lei 122/XIII (3a) – DAR II série A N.º93/XIII/3 2018.04.04 (pages 42-161)). Cette proposition de loi présentait le renforcement de lindépendance et de limpartialité des magistrats du siège comme lun de ses objectifs clés comme suit :

« (...)

Attendu que lon ne peut envisager ladministration de la justice sans la garantie de lindépendance, celle-ci est acceptée comme la caractéristique de la magistrature du siège à laquelle on peut renoncer le moins, tant sur le plan matériel que sur le plan personnel. Il est ainsi donné une importance particulière, dune part, aux garanties matérielles de lindépendance qui concernent la liberté des juges par rapport à tout ordre ou instruction dautres organes de lÉtat et, dautre part, aux garanties personnelles qui protègent les juges – concrètement le fait de ne pouvoir être tenu pour responsable à raison des décisions et linamovibilité. Lindépendance est, ainsi, conçue comme une immunité : dans lexercice de la fonction juridictionnelle, les magistrats ne sont liés quau Droit et à la Loi, étant ainsi totalement exclue la subordination à tout ordre ou instruction. »

En ce qui concerne la procédure disciplinaire, il était mentionné que lobjectif était de rendre le Statut plus autonome, en spécifiant les devoirs liés à la fonction des juges ainsi que les conséquences de leur violation, sans quil soit nécessaire den passer par lapplication du Statut disciplinaire des personnes exerçant des fonctions publiques (paragraphe 37 ci-dessous).

Quant au recours contre la décision adoptée à lissue de la procédure disciplinaire, la proposition de loi indiquait ce qui suit :

« (...) il est expressément disposé que le recours contre la décision finale rendue à lissue dune procédure disciplinaire peut porter sur les éléments de fait et de droit ayant fondé cette décision, assurant ainsi une protection juridique plus adéquate de laccusé.

(...) »

35.  Cette proposition de loi a abouti à la loi no 67/2019 du 27 août 2019 portant modification du Statut des magistrats du siège, dont les dispositions suivantes, dans leur rédaction actuelle, se lisent comme suit :

Article 4

Indépendance

« 1. (...)

2. Lindépendance des magistrats du siège se manifeste dans la fonction de juger, dans la direction de lavancement de la procédure et dans la gestion des procédures qui leur sont attribuées de façon aléatoire.

3. Lindépendance des magistrats du siège est assurée par le fait quils ne peuvent être tenus pour responsables à raison de leurs décisions (irresponsabilidade) et par leur inamovibilité, outre les autres garanties consacrées dans le présent Statut, et encore par lexistence du Conseil supérieur de la magistrature. »

Article 117

Terme de linstruction

« 1. Une fois linstruction terminée, lorsque le juge instructeur estime que les faits ne relèvent pas de linfraction disciplinaire ou de la responsabilité de laccusé (...), il rend dans un délai de dix jours une proposition de classement sans suite (arquivamento).

(...)

3. Sil ny a pas classement sans suite, le juge instructeur dresse lacte daccusation dans un délai de dix jours, en exposant de manière détaillée les faits qui constituent linfraction disciplinaire, les circonstances de temps, mode et lieu dans lesquelles elle a été commise, ainsi que les faits qui relèvent des circonstances aggravantes ou atténuantes, en indiquant les dispositions légales et les sanctions applicables en lespèce. »

36.  Les dispositions suivantes ont par ailleurs été ajoutées par la loi no 67/2019 du 27 août 2019 au Statut :

Article 83-F

Classement des infractions

« Les infractions disciplinaires commises par les magistrats du siège sont classées comme très graves, graves et légères en fonction des circonstances de chaque espèce. »

Article 83- G

Infractions très graves

« Constituent des infractions très graves les actes commis avec dol ou négligence grave (negligência grosseira) qui, en raison de la réitération ou de la gravité de la violation des devoirs et de lincompatibilité prévus dans le présent Statut, se révèlent préjudiciables (desprestigiantes) pour ladministration de la justice et lexercice de la magistrature (...) »

Article 83-H

Infractions graves

« Constituent des infractions graves les actes commis avec dol ou négligence grave qui révèlent un désintérêt grave pour le respect des devoirs liés à la fonction, notamment :

(...)

e) Le non-respect injustifié, réitéré ou révélateur dun manque grave de zèle professionnel, des horaires établis pour les actes publics, ainsi que des délais établis pour la réalisation dun acte propre du juge, notamment lorsque se sont écoulés six mois à compter du terme prévu pour laccomplissement de lacte ;

f) Le non-respect non justifié des demandes dinformation, délibérations et mesures fonctionnelles du Conseil supérieur de la magistrature et des présidents des tribunaux, données dans le cadre des attributions organisationnelles ou légalement ;

(...)

i) Le retard injustifié dans la rédaction (redução a escrito) et le dépôt des décisions rendues, ainsi que dans la restitution au secrétariat [concerné] de dossiers de procédures retenus par le magistrat lorsque [celui-ci] a cessé davoir compétence sur eux.

(...) »

Article 83-I

Infractions légères

« Constituent des fautes légères les infractions commises avec faute légère se traduisant par une compréhension déficiente des devoirs liés à la fonction, notamment :

(...)

c) Le non-respect injustifié, réitéré ou révélateur dun manque de zèle professionnel, des horaires établis pour les actes publics, ainsi que des délais établis pour la réalisation dun acte propre du juge, notamment lorsque se sont écoulés trois mois à compter du terme prévu pour laccomplissement de lacte ;

(...) »

Article 120-A

Audience publique

« 1. Laccusé peut demander la tenue dune audience pour présenter sa défense.

2. Laudience publique est présidée par le président du Conseil supérieur de la magistrature ou, sur délégation de ce dernier, par le vice-président. Y participent les membres de la section disciplinaire et sont présents le [juge] instructeur, laccusé ou son défenseur ou représentant (mandatário).

(...)

4. Une fois laudience ouverte, le juge instructeur lit le rapport final, la parole étant ensuite donnée à laccusé ou à son défenseur ou représentant aux fins des plaidoiries orales, aux termes desquelles laudience est close. »

Article 121-A

Recours

« Laction visant à attaquer la décision finale de la procédure disciplinaire peut porter sur les éléments de fait et de droit ayant fondé la décision. Il est procédé à la production de la preuve demandée, le nombre de témoins pouvant aller jusquà dix. »

  1. Le Statut disciplinaire des personnes exerçant des fonctions publiques

37.  Applicables aux juges en vertu de larticle 131 du Statut, les dispositions pertinentes en lespèce de la loi no 58/2008 du 9 septembre 2008 portant Statut disciplinaire des personnes exerçant des fonctions publiques (Estatuto disciplinar dos trabalhadores que exercem funções públicas) se lisaient ainsi au moment des faits :

Article 3

Infraction disciplinaire

« 1. Est considéré comme une infraction disciplinaire le comportement de lemployé qui, par action ou omission, (...) viole les devoirs généraux ou spéciaux inhérents à la fonction quil exerce.

2. Les devoirs généraux des employés sont :

a) Le devoir de poursuite de lintérêt général ;

b) Le devoir de neutralité (isenção) ;

c) Le devoir dimpartialité ;

d) Le devoir dinformation ;

e) Le devoir de zèle ;

f) Le devoir dobéissance ;

g) Le devoir de loyauté ;

h) Le devoir de correction ;

i) Le devoir dassiduité ;

j) Le devoir de ponctualité.

3. Le devoir de poursuite de lintérêt général consiste à défendre, dans le respect de la Constitution, les lois et les droits et intérêts légalement protégés des citoyens.

4. Le devoir de neutralité consiste à ne pas retirer des avantages directs ou indirects, monétaires ou autres, pour soi-même ou un tiers, des fonctions exercées.

(...)

6. Le devoir dinformation consiste à donner au citoyen, selon les termes légaux, linformation demandée, à lexception de celle qui, selon les mêmes termes, ne doit pas être divulguée.

7. Le devoir de zèle consiste à défendre et à appliquer les normes légales et réglementaires et les ordres et instructions des supérieurs hiérarchiques, ainsi quà exercer les fonctions conformément aux objectifs fixés et à utiliser les compétences considérées comme adéquates.

8. Le devoir dobéissance consiste à exécuter les ordres des supérieurs hiérarchiques légitimes et à sy conformer (...)

(...)

10. Le devoir de correction consiste à traiter avec respect les usagers des organismes et services ainsi que les autres employés et les supérieurs hiérarchiques.

(...) »

Article 48 § 3

[Terme de linstruction]

« Laccusation contient une indication des faits reprochés, ainsi que les circonstances de temps, mode et lieu dans lesquelles linfraction a été commise ainsi que les circonstances atténuantes et aggravantes, auxquelles doit toujours être ajoutée une référence aux dispositions légales pertinentes et aux sanctions applicables. »

  1. Le code de procédure devant les tribunaux administratifs (« le CPTA »)

38.  Larticle 3 § 1 du CPTA se lit comme suit :

« Dans la limite imposée par le principe de la séparation des pouvoirs, les tribunaux administratifs examinent le respect des normes et des principes juridiques qui lient ladministration, mais [ils] nexaminent pas le caractère approprié et opportun (conveniência ou oportunidade) de son action. »

  1. La pratique interne pertinente
    1. La jurisprudence de la section du contentieux de la Cour suprême portugaise

39.  Selon sa jurisprudence constante, la section du contentieux de la Cour suprême ne joue quun rôle de contrôle de la légalité dans les affaires portant sur le contrôle des décisions adoptées par le CSM (voir, par exemple, larrêt rendu le 29 mai 2006 dans la procédure no 757/06, larrêt rendu le 7 février 2007 dans la procédure no 4115/05, larrêt rendu le 19 septembre 2007 dans la procédure no 1021/05, larrêt rendu le 10 juillet 2008 dans la procédure no 4265/07 et larrêt rendu le 17 décembre 2009 dans la procédure no 365/09.9YFLSB).

40.  Dans son arrêt du 25 septembre 2014 (procédure interne no 21/14.6YFLSB), la Cour suprême sest exprimée en ces termes :

« La Cour suprême ne pourra intervenir que lorsquil lui semble que, dans la fixation de la sanction disciplinaire, est survenue une erreur manifeste, grave ou grossière, fondée sur des critères clairement erronés ou portant atteinte aux principes de la justice, de limpartialité, de légalité, de la proportionnalité et de la poursuite de lintérêt public.

En dehors de ces cas, on doit considérer que la décision prise par le CSM relève de lample marge dappréciation et dévaluation dont bénéficie lorgane administratif. Pour cette raison, les éléments [en cause] ne peuvent pas être contrôlés par les organes judiciaires. »

  1. La jurisprudence du Tribunal constitutionnel

a)      La jurisprudence du Tribunal constitutionnel relativement aux procédures disciplinaires engagées contre des juges

  1. Larrêt du Tribunal constitutionnel no 516/2003 du 28 octobre 2003

41.  Dans son arrêt no 516/2003, du 28 octobre 2003, le Tribunal constitutionnel (deuxième section) a considéré que, même si le rapport final mettait un terme à linstruction dans le cadre dune procédure disciplinaire, il ne permettait pas toujours danticiper la décision du CSM, qui restait libre de souscrire ou de ne pas souscrire au rapport du juge instructeur compte tenu des faits établis. Il a en outre observé que, daprès larticle 123 du Statut, le rapport final ne devait être porté à la connaissance de laccusé quau moment de la notification de la décision du CSM. Il a jugé que, en elle-même, cette disposition du Statut était conforme à la Constitution, à condition que les droits de la défense garantis par les articles 32 § 10 et 269 § 3 de la Constitution aient été respectés au moment de la notification de laccusation en application de larticle 117 du Statut. Ainsi, il a estimé que, si lacte daccusation ayant été porté à la connaissance de laccusé ne précisait pas les normes que le juge instructeur considérait comme violées ainsi que la nature de la peine applicable, le rapport final incluant pour la première fois une proposition de sanction devait être porté à la connaissance de laccusé, à linstar de ce qui prévalait en matière davertissement, sanction ne requérant pas de procédure disciplinaire ou dacte daccusation daprès larticle 85 § 5 du Statut.

42.  Dans laffaire objet de larrêt susmentionné, lacte daccusation porté à la connaissance de laccusé nindiquait pas les dispositions légales du Statut qui étaient considérées comme violées ni les dispositions sanctionnant une telle atteinte. Par conséquent, dans le cadre du contrôle concret de constitutionnalité, le Tribunal constitutionnel a conclu que larticle 122 du Statut nétait pas conforme à larticle 32 § 10 de la Constitution lorsquil était interprété comme nimposant pas la communication du rapport final du juge instructeur à laccusé dans les cas où la notification de laccusation à ce dernier nincluait pas lindication des normes considérées comme violées ainsi que la nature de la peine applicable et où dans sa décision finale le CSM souscrivait audit rapport.

  1. Les autres arrêts pertinents du Tribunal constitutionnel

43.  Dans son arrêt no 499/2009 du 30 septembre 2009, le Tribunal constitutionnel, confirmant son arrêt no 516/2003, a conclu que :

« (...) nest pas inconstitutionnelle la norme extraite (...) des articles 122 et 133 du Statut selon laquelle (...) la proposition du rapport final du juge instructeur ne doit pas être notifiée à laccusé dans le cadre dune procédure disciplinaire, sauf lorsque sont soulevées des questions sur lesquelles lintéressé na pas eu lopportunité de se prononcer. »

44.  Dans son arrêt no 413/2011 du 28 septembre 2011, le Tribunal constitutionnel a tenu le raisonnement suivant :

« (...)

La participation de laccusé à la procédure disciplinaire de droit public revient à donner [à lintéressé] le droit dêtre entendu (direito de audiência) et de se défendre (direito de defesa). Cette garantie, qui figure au paragraphe 10 de larticle 32 de la Constitution pour les procédures aboutissant à lapplication de sanctions (processos sancionatórios) en général et qui dans le texte constitutionnel est spécifiquement mentionnée à propos des employés de ladministration publique (paragraphe 3 de larticle 269 de la Constitution), doit être entendue comme lexpression dun principe général daudition préalable des intéressés et la reconnaissance effective des droits de la défense relativement à toute décision ayant un effet punitif. (...) Il sagit dune participation, visant à donner des garanties, qui se matérialise avec la technique de lattribution dun droit fondamental (dêtre entendu et de se défendre) qui exige, dun point de vue matériel, que le régime de la procédure disciplinaire offre à laccusé la possibilité effective de se prononcer par rapport à tous les faits, sur toutes les preuves et sur les questions juridiques à apprécier dans la décision finale.

Or cette finalité est suffisamment respectée [lorsque lacte daccusation] comprend la description des faits, avec la référence aux normes relatives à la prévision et à la punition (« les dispositions légales ») auxquelles on entend rattacher la conduite. Lintéressé est ainsi informé, au niveau des faits et de la qualification juridique, des actes ou omissions qui lui sont imputés et des conséquences punitives que lon prétend déduire de là. Il peut ainsi se défendre de façon efficace, soit en niant totalement ou partiellement les faits ou leurs circonstances, soit en se prévalant contre eux dautres faits qui retirent ou modifient leur signification juridique ou qui se répercutent dans lexercice du pouvoir disciplinaire, soit en contestant la qualification juridique qui est proposée pour les faits décrits. (...) Pour que lintéressé puisse se défendre de laction répressive (pretensão punitiva), il suffit quil connaisse la matérialité factuelle qui lui est imputée, avec ses circonstances de mode, lieu et temps, et quil sache que cest à cette notion (conceito) relativement indéterminée que lon entend rattacher la conduite décrite (prévision) et les effets (peine) que lon prétend voir être impliqués. Ainsi, laccusé dispose des moyens pour discuter la possibilité de voir encadrer ou non cette action ou omission dans la notion légale indiquée (...)

En conclusion, la norme de larticle 117 § 1 du Statut, interprétée dans le sens que lacte daccusation ne doit pas expliquer le concept de « dignité indispensable à lexercice de ses fonctions », ne porte pas atteinte à lobligation pour toute procédure disciplinaire de garantir les droits dêtre entendu et de se défendre.

(...) »

b)     La jurisprudence du Tribunal constitutionnel concernant le contrôle de constitutionnalité normative

45.  En ses parties pertinentes en lespèce, larrêt no 82/92 du 25 février 1992 du Tribunal constitutionnel se lit comme suit :

« (...)

La jurisprudence constante et uniforme de ce Tribunal fait dépendre la recevabilité de la voie spécifique de recours utilisé par le recourant (...), entre autres, de la vérification conjuguée des conditions ou exigences suivantes : 1) linconstitutionnalité de [la] norme devra avoir été excipée par le recourant au cours de la procédure ; 2) la norme en question devra ensuite avoir été utilisée par le tribunal, dans la décision faisant lobjet du recours, comme lun de ses fondements normatifs (...)

Par conséquent, même si la question de linconstitutionnalité de cette norme a été soulevée au cours de la procédure, lorsquil nen a pas été fait usage comme fondement légal dans la décision finale rendue, cest-à-dire lorsque la décision a été rendue par référence à une autre disposition normative, le recours en inconstitutionnalité exercé spécifiquement en vue dun contrôle concret [de constitutionnalité] de cette même norme sera irrecevable, étant donné que lune des conditions de recevabilité nest pas remplie.

(...) »

46.  Dans son arrêt no 178/95 du 5 avril 1995, le Tribunal constitutionnel sest exprimé ainsi :

« Le contrôle de constitutionnalité (...) est un contrôle normatif – un contrôle qui ne peut porter que sur des normes (autrement dit des actes du pouvoir législatif public), et non sur dautres types dactes du pouvoir public, tels que les décisions judiciaires. En effet, notre système de contrôle de constitutionnalité ne prévoit pas un recours damparo.

Le recours devant le Tribunal constitutionnel ne peut porter sur linconstitutionnalité des décisions judiciaires elles-mêmes. Il doit avoir pour objet les dispositions normatives que les autres tribunaux ont refusé dappliquer ou quils ont appliquées alors que le recourant avait soulevé leur inconstitutionnalité au cours de la procédure (...)

(...)

(...) lorsque cest la [question de la] façon dont une disposition normative a été interprétée qui est soulevée, le sens de cette interprétation doit être spécifié afin que, sil la déclare non conforme à la Constitution, [le Tribunal constitutionnel] puisse lénoncer dans la décision à rendre. Ainsi, si le tribunal ayant rendu la décision dont il est interjeté appel doit réformer sa décision, les autres destinataires de cette décision et les opérateurs juridiques en général savent quel est le sens de la norme en cause qui ne peut pas être adopté compte tenu de son incompatibilité avec la loi fondamentale.

(...) »

47.  Dans son arrêt no 117/2001 du 14 mars 2001, le Tribunal constitutionnel a rappelé que :

« (...) la question de linconstitutionnalité peut concerner tant la norme que linterprétation ou le sens avec lesquels elle a été appliquée dans la décision attaquée (...) »

48.  Dans ses arrêts nos 412/2003 (du 23 septembre 2003) et 110/2007 (du 15 février 2007), le Tribunal constitutionnel a souligné que, pour quune question fût soumise à un contrôle de constitutionnalité, il suffisait quil existât « un critère normatif, doté dun niveau dabstraction élevé, pouvant être invoqué et appliqué à une pluralité de situations concrètes ».

49.  Dans plusieurs arrêts (no 76/2000 du 10 février 2000, no 621/2003 du 17 décembre 2003 et, plus récemment, no 171/2020 du 11 mars 2020), le Tribunal constitutionnel a considéré quil fallait distinguer, dune part, les conditions de recevabilité du recours en inconstitutionnalité exposées à larticle 70 § 1 de la LOTC et, dautre part, les éléments devant figurer dans la demande introductive du recours (requerimento de interposição do recurso) en inconstitutionnalité indiqués à larticle 75-A §§ 1-4 de la LOTC. Il a précisé que la possibilité de se voir inviter à corriger la demande introductive de recours en vertu du paragraphe 5 de larticle 75-A de la LOTC nétait valable que si lun des éléments prévus aux paragraphes 1 à 4 de cette disposition faisait défaut. Il en a conclu que cela ne pouvait être valable lorsquétaient en cause les conditions de recevabilité dun recours posées par larticle 70 § 1 de la LOTC, et quil était donc inutile dinviter un recourant à rectifier sa demande introductive de recours lorsque cétaient les conditions dadmissibilité du recours en inconstitutionnalité qui nétaient pas remplies.

  1. TEXTES INTERNATIONAUX ET DOCUMENTS DU CONSEIL DE LEUROPE PERTINENTS

50.  Les textes internationaux et les documents du Conseil de lEurope relatifs à lindépendance judiciaire et au principe de linamovibilité des juges sont exposés dans les arrêts Baka c. Hongrie ([GC] no 20261/12, §§ 72-87, CEDH 2016), Denisov c. Ukraine ([GC] no 76639/11, §§ 33-36, 25 septembre 2018), et Guðmundur Andri Ástráðsson c. Islande ([GC] no 26374/18, §§ 117-129, 1er décembre 2020).

 

EN DROIT

 

  1. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE LARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION TIRÉE DUN DÉFAUT DACCÈS À UN TRIBUNAL

51.  Sous langle de larticle 13 de la Convention, la requérante reproche au Tribunal constitutionnel davoir fait montre dun excès de formalisme, ayant abouti selon elle à lirrecevabilité de son recours constitutionnel.

52.  Maîtresse de la qualification juridique des faits de la cause (Radomilja c. Croatie [GC], nos 37685/10 et 22768/12, §§ 114-115 et 126, CEDH 2018), la Cour estime que le grief de la requérante se prête à un examen sous langle du seul article 6 § 1 de la Convention, qui garantit le droit daccès à un tribunal et est ainsi libellé en ses parties pertinentes en lespèce :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...) »

  1. Sur la recevabilité
    1. Sur lapplicabilité de larticle 6 § 1 à la présente espèce

53.  La Cour rappelle que larticle 6 § 1 de la Convention sapplique sous son volet civil aux « contestations » relatives à des « droits » de « caractère civil » que lon peut prétendre, au moins de manière défendable, reconnus en droit interne, quils soient ou non protégés de surcroît par la Convention. Il doit sagir dune contestation réelle et sérieuse, qui peut concerner aussi bien lexistence même dun droit que son étendue ou ses modalités dexercice. De plus, lissue de la procédure doit être directement déterminante pour le droit en question, un lien ténu ou des répercussions lointaines ne suffisant pas à faire entrer en jeu larticle 6 § 1 (Micallef c. Malte [GC], no 17056/06, § 74, CEDH 2009, et Boulois c. Luxembourg [GC], no 37575/04, § 90, CEDH 2012). Quant au caractère « civil » dun tel droit au sens de larticle 6, selon la jurisprudence de la Cour, les litiges opposant lÉtat à ses fonctionnaires entrent en principe dans le champ dapplication de cette disposition, sauf si les deux conditions cumulatives suivantes sont remplies : en premier lieu, le droit interne de lÉtat concerné doit avoir expressément exclu laccès à un tribunal pour le poste ou la catégorie de salariés en question ; en second lieu, cette dérogation doit reposer sur des motifs objectifs liés à lintérêt de lÉtat (Vilho Eskelinen et autres c. Finlande [GC], no 63235/00, § 62, CEDH 2007-IV et Baka, précité, §§ 103-104).

54.  La Cour note que la présente espèce concerne une sanction disciplinaire infligée à la requérante dont celle-ci a cherché à obtenir lannulation en engageant un recours devant la Cour suprême fondé sur larticle 168 du Statut (paragraphe 33 ci-dessus). La présente affaire est donc similaire à laffaire Ramos Nunes de Carvalho e  c. Portugal [GC] (nos 55391/13 et 2 autres, 6 novembre 2018), à la différence que, en loccurrence, la requérante a porté ses griefs jusquau Tribunal constitutionnel. Or, si le Tribunal constitutionnel avait constaté linconstitutionnalité de larticle 117 § 1 du Statut arguée par la requérante, il aurait pu renvoyer laffaire devant la section du contentieux de la Cour suprême pour une réappréciation du litige. La procédure devant le Tribunal constitutionnel était donc déterminante pour lissue de la cause de la requérante (voir, sur ce point, Süssmann c. Allemagne [GC], no 20024/92, § 41, 16 septembre 1996). Partant, eu égard aux considérations faites au paragraphe 120 de larrêt Ramos Nunes de Carvalho e  (précité), larticle 6 de la Convention sapplique aux faits de lespèce sous son volet civil, y compris sagissant de la procédure devant la juridiction constitutionnelle. Le volet pénal est quant à lui exclu (ibid., § 127).

  1. Conclusion

55.  Constatant, par ailleurs, que le grief tiré dun défaut daccès à un tribunal nest pas manifestement mal fondé ni irrecevable pour un autre motif visé à larticle 35 de la Convention, la Cour le déclare recevable.

  1. Sur le fond
    1. Les arguments des parties

a)      La requérante

56.  La requérante se plaint de lirrecevabilité de son recours devant le Tribunal constitutionnel, y voyant une atteinte à son droit daccès à un tribunal. Elle expose avoir formé son recours devant le Tribunal constitutionnel en respectant les conditions posées par les articles 70 § 1 b), 71 § 1, 75-A §§ 1 et 2 et 79-C de la LOTC (paragraphe 32 ci-dessus). Elle dit, en loccurrence, avoir souhaité un contrôle quant à la conformité avec larticle 32 de la Constitution de linterprétation normative de larticle 117 § 1 du Statut selon laquelle lacte daccusation nimpliquait pas quil fût fait référence aux peines applicables, surtout lorsquétaient en jeu des peines emportant exclusion de la magistrature. Elle précise que la question quelle tirait de linconstitutionnalité alléguée de linterprétation normative de larticle 117 § 1 du Statut était claire et étayée par tous les arguments possibles. Elle ajoute avoir fait référence à toutes les dispositions légales pertinentes en lespèce, dont les articles 13, 20 § 4, 32 §§ 1, 2 et 10 et 269 § 3 de la Constitution, dans le but de prouver que lacte daccusation devait faire référence aux sanctions applicables, pour permettre à laccusé de se défendre en connaissance de cause et, ainsi, éviter de donner lieu à une « décision surprise ».

57.  La requérante argue que, cela étant, le recours a été déclaré irrecevable par le Tribunal constitutionnel au motif que linterprétation de larticle 117 § 1 du Statut ne ressortait pas de larrêt litigieux de la Cour suprême. Selon elle, le Tribunal constitutionnel na pas examiné le fond de sa question pour des raisons purement formalistes.

58.  Elle soutient quau demeurant, même si une décision judiciaire applique une norme dont linconstitutionnalité a été excipée au cours de la procédure avec des fondements ou des motivations différentes, rien nempêche que cette décision soit attaquée sous langle de lun de ces fondements ou motivations seulement.

59.  Pour finir, elle estime quelle aurait dû être invitée par le Tribunal constitutionnel à corriger les failles alléguées de son recours, tel que le prévoit larticle 75-A §§ 1, 2, 5 et 6 de la LOTC.

b)     Le Gouvernement

60.  Le Gouvernement expose, avant tout, que le recours devant le Tribunal constitutionnel au Portugal est un recours qui vise un contrôle de constitutionnalité normative, autrement dit un contrôle sur la conformité de dispositions normatives à la Constitution, même lorsquil sagit dun contrôle concret de constitutionnalité. Il ajoute quun tel recours ne peut donc porter sur les décisions judiciaires elles-mêmes et ne peut, par conséquent, être comparé au recours damparo ou à un recours relatif à des droits fondamentaux, tel que souligné par le Tribunal constitutionnel dans son arrêt no 178/95 du 5 avril 1995 (paragraphe 46 ci-dessus). Il dit aussi que, pour saisir valablement le Tribunal constitutionnel, le recourant doit respecter certaines conditions et quil doit notamment avoir soulevé au préalable la question tirée de linconstitutionnalité alléguée au cours de la procédure interne. Il indique également que la norme juridique en cause doit avoir été appliquée dans la décision attaquée. Sur ce dernier point, il précise, en se référant à larrêt no 82/92 du 25 février 1992 du Tribunal constitutionnel (paragraphe 45 ci-dessus), que la ratio decidendi de la décision attaquée doit reposer sur la norme juridique dénoncée.

61.  Sagissant de la présente espèce, le Gouvernement plaide ce qui suit : lorsque cest linconstitutionnalité dune interprétation normative qui est excipée, celle-ci doit être précisée par le recourant dans son recours ; or linterprétation de larticle 117 § 1 du Statut que la requérante alléguait être contraire à la Constitution navait pas été suivie par la Cour suprême dans sa décision du 19 septembre 2012, comme la constaté le Tribunal constitutionnel ; en effet, la Cour suprême na pas dit que larticle 117 du Statut nimpliquait pas ou dispensait que, dans lacte daccusation, il fût fait référence à la sanction applicable, comme le soutenait la requérante. Le Gouvernement indique que, en réalité, la Cour suprême a considéré que lexposé des faits qui étaient imputés à la requérante dans lacte daccusation permettait à lintéressée danticiper la sanction quelle encourait et, partant, de se défendre en conséquence. En outre, il dit que, dans son arrêt, la Cour suprême a également observé que la sanction potentiellement applicable devait être indiquée dans le rapport final du juge instructeur conformément à larticle 122 du Statut.

62.  Le Gouvernement affirme que la question soulevée par la requérante a fait lobjet dune appréciation. Il précise à cet égard que le recours de lintéressée a été examiné par le Tribunal constitutionnel et que cette haute juridiction a rendu deux décisions allant dans le même sens, considérant que les faits décrits dans lacte daccusation permettaient danticiper la peine potentiellement applicable. Daprès lui, on ne peut donc prétendre que la requérante na pas eu accès à un tribunal.

63.  Enfin, le Gouvernement argue que les règles relatives à laccès à un tribunal visent à garantir la bonne administration de la justice constitutionnelle et que, par conséquent, les limitations dans laccès à la justice constitutionnelle ne peuvent être considérées comme disproportionnées.

  1. Lappréciation de la Cour

a)      Principes généraux

  1. Principes généraux relatifs à laccès à un tribunal

64.  Les principes généraux relatifs à laccès à un tribunal ont été rappelés récemment dans les arrêts Paroisse gréco-catholique Lupeni et autres c. Roumanie ([GC], no 76943/11, §§ 84-90, 29 novembre 2016) et Zubac c. Croatie ([GC], no 40160/12, §§ 76-79, 5 avril 2018).

65.  La Cour rappelle, en particulier, que le « droit à un tribunal », dont le droit daccès constitue un aspect, nest pas absolu ; il se prête à des limitations implicitement admises, notamment en ce qui concerne les conditions de recevabilité dun recours, car il appelle de par sa nature même une réglementation par lÉtat, lequel jouit à cet égard dune certaine marge dappréciation. La Cour na pas pour tâche de se substituer aux juridictions internes ; cest effectivement au premier chef aux autorités nationales, notamment aux cours et tribunaux, quil incombe dinterpréter la législation interne (Vučković et autres c. Serbie (exception préliminaire) [GC], nos 17153/11 et 29 autres, § 80, 25 mars 2014). Sous réserve dune interprétation arbitraire ou manifestement déraisonnable, le rôle de la Cour se limitant à vérifier la compatibilité avec la Convention des effets de pareille interprétation (Nejdet Şahin et Perihan Şahin c. Turquie [GC], no 13279/05, § 49, 20 octobre 2011 et Molla Sali c. Grèce [GC], no 20452/14, § 149, 19 décembre 2018).

66.  Cependant, les limitations appliquées ne doivent pas restreindre laccès ouvert à lindividu dune manière ou à un point tels que le droit sen trouve atteint dans sa substance même. En outre, elles ne se concilient avec larticle 6 § 1 que si elles poursuivent un but légitime et sil existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (Paroisse gréco-catholique Lupeni et autres, précité, § 89, Naït-Liman c. Suisse [GC], no 51357/07, § 115, 15 mars 2018, Zubac, précité, § 78 et Nicolae Virgiliu Tănase c. Roumanie [GC], no 41720/13, § 195, 25 juin 2019).

  1. Principes généraux relatifs à laccès à une juridiction supérieure

67.  Larticle 6 de la Convention nastreint pas les États contractants à créer des cours dappel ou de cassation, et encore moins des juridictions compétentes en matière damparo (Arrozpide Sarasola et autres c. Espagne, nos 65101/16 et 2 autres, § 99, 23 octobre 2018). Toutefois, un État qui se dote de juridictions de cette nature a lobligation de veiller à ce que les justiciables jouissent auprès delles des garanties fondamentales de larticle 6 (Zubac, précité, § 80, et Delcourt c. Belgique, 17 janvier 1970, § 25, série A no 11). Cette jurisprudence a, en loccurrence, été appliquée à des tribunaux constitutionnels (voir, notamment, Arrozpide Sarasola et autres, précité, §§ 107-108, et Dos Santos Calado et autres c. Portugal, no 55997/14 et 3 autres, §§ 121-125, §§ 129-130 et §§ 133-136, 31 mars 2020).

68.  Compte tenu du fait que la juridiction du Tribunal constitutionnel est limitée aux questions de constitutionnalité, on peut admettre que les conditions de recevabilité pour un recours constitutionnel puissent être plus rigoureuses que pour un appel. Cela dit, les autorités nationales ne jouissent pas dun pouvoir discrétionnaire illimité à cet égard (Zubac, précité, § 82 et §§ 108109). Il convient donc de prendre en compte lensemble du procès mené dans lordre juridique interne et le rôle que le Tribunal constitutionnel y a tenu (Arrozpide Sarasola et autres, précité, § 99, et les références qui y sont citées). Nappartient pas à la Cour dinterpréter et dappliquer le droit interne, elle ne peut mettre en cause lappréciation des autorités internes quant à des erreurs de droit prétendument commises que lorsque celles-ci sont arbitraires ou manifestement déraisonnables (ibid., § 100).

69.  Pour déterminer la proportionnalité de restrictions légales appliquées à laccès aux juridictions supérieures, il y a lieu de prendre en considération trois facteurs, tel que rappelé dans laffaire Zubac (précitée, §§ 85-99) et appliqué dans laffaire Dos Santos Calado et autres (précitée, §§ 114-116).

Premièrement, la Cour doit rechercher si les modalités dexercice du recours peuvent passer pour prévisibles aux yeux dun justiciable (Zubac, § 87 et les références qui y sont citées).

Deuxièmement, après avoir identifié les erreurs procédurales qui ont été commises au cours de la procédure et qui, en définitive, ont empêché le requérant daccéder à un tribunal, il convient de déterminer si lintéressé a dû supporter une charge excessive en raison de ces erreurs. Lorsque lerreur procédurale en question nest imputable quà un côté, selon le cas celui du requérant ou celui des autorités compétentes, notamment la juridiction (ou les juridictions), la Cour a habituellement tendance à faire peser la charge sur celui qui a commis lerreur (Zubac, précité, § 90 et les exemples qui y sont cités).

Troisièmement, il sagira de savoir si les restrictions en question peuvent passer pour révéler un « formalisme excessif ». Il est bien établi dans la jurisprudence de la Cour quun « formalisme excessif » peut nuire à la garantie dun droit « concret et effectif » daccès à un tribunal découlant de larticle 6 § 1 de la Convention. Pareil formalisme peut résulter dune interprétation particulièrement rigoureuse dune règle procédurale, qui empêche lexamen au fond de laction dun requérant et constitue un élément de nature à emporter violation du droit à une protection effective par les cours et tribunaux (Zubac, précité, § 97). La Cour a ainsi constaté, à plusieurs reprises, sur ce fondement, une violation du droit daccès à un tribunal (voir les exemples cités au paragraphe 116 de larrêt Dos Santos Calado et autres, précité, et les violations du droit daccès à un tribunal constatées dans ce même arrêt aux paragraphes 125 et 130).

70.  Au demeurant, si le droit dexercer un recours est bien entendu soumis à des conditions légales, les tribunaux doivent, en appliquant des règles de procédure, éviter à la fois un excès de formalisme qui porterait atteinte à léquité de la procédure et une souplesse excessive qui aboutirait à supprimer les conditions de procédure établies par les lois (Walchli c. France, no 35787/03, § 29, 26 juillet 2007). Le droit daccès à un tribunal se trouve atteint dans sa substance lorsque sa réglementation cesse de servir les buts de la sécurité juridique et de la bonne administration de la justice et constitue une sorte de barrière qui empêche le justiciable de voir son litige tranché au fond par la juridiction compétente (Zubac, précité, § 98, et Efstathiou et autres c. Grèce, no 36998/02, § 24, 27 juillet 2006).

b)     Application à la présente espèce

71.  La Cour relève que la requérante ne conteste pas les arguments du Gouvernement sagissant de la nature du contrôle concret de constitutionnalité en droit interne et, plus particulièrement, le fait que ce contrôle ne peut porter que sur une question normative, avec une portée générale donc, ce qui le distingue ainsi du contrôle exercé dans le cadre du recours damparo (paragraphe 60 ci-dessus). La requérante ne met pas non plus en cause la prévisibilité et la clarté des restrictions à laccès à la juridiction constitutionnelle. Ce quelle dénonce, cest une application trop formaliste des conditions de recevabilité du recours constitutionnel par le Tribunal constitutionnel dans le cadre de son recours devant cette haute juridiction (paragraphes 57 et 58 ci-dessus). Lintéressée se plaint aussi de ne pas avoir été invitée à corriger sa demande introductive de recours, comme le prévoyait larticle 75-A de la LOTC (paragraphe 59 ci-dessus).

72.  La Cour constate, quant à elle que, en vertu de larticle 75-A de la LOTC, pour saisir valablement le Tribunal constitutionnel, tout mémoire en recours doit préciser lalinéa de larticle 70 § 1 de la LOTC sur lequel il se fonde et la norme dont linconstitutionnalité ou lillégalité doit être appréciée. Larticle 79-C précise quant à lui que la norme en cause doit avoir été appliquée dans la décision litigieuse (paragraphe 32 ci-dessus). La restriction appliquée, en lespèce, au droit daccès de la requérante au Tribunal constitutionnel était donc légale. La Cour ne doute pas non plus quelle poursuivait un but légitime, à savoir le respect de la prééminence du droit et la bonne administration de la justice constitutionnelle. Il reste donc à apprécier la proportionnalité de cette restriction au but légitime poursuivi au regard des circonstances de lespèce.

73.  La Cour relève que la requérante a saisi le Tribunal constitutionnel dun recours en excipant de linconstitutionnalité de larticle 117 § 1 du Statut, au regard des articles 13, 20 § 4, 32 §§ 1, 2 et 10 et 269 § 3 de la Constitution, « lorsque [cet article], notamment concernant la partie « indiquant les dispositions légales applicables » [était] interprété et intégré, concrètement, avec un sens (restrictif) selon lequel la norme nimpliqu[ait] pas ou dispens[ait] que, dans lacte daccusation, il [fût] fait référence aux sanctions qui [étaient] applicables à laccusé ou [fût] porté à la connaissance de [celui-ci] les[dites] sanctions, surtout lorsque [étaient] en cause des sanctions emportant exclusion » (paragraphe 23 ci-dessus).

La requérante entendait donc exciper de linconstitutionnalité dune interprétation normative, autrement dit une interprétation de la disposition susmentionnée avec une portée générale, au sens de la jurisprudence interne (paragraphes 46, 47 et 48 dessus).

74.  La Cour note que, par une décision sommaire du 28 novembre 2012 prise en formation de juge unique, confirmée par un arrêt du 31 janvier 2013 adopté par un comité de trois juges, le Tribunal constitutionnel a déclaré le recours de la requérante irrecevable au motif que la décision litigieuse du tribunal a quo, en loccurrence la Cour suprême, navait pas appliqué larticle 117 § 1 du Statut avec linterprétation alléguée par lintéressée, tel quexigé par larticle 79–C de la LOTC. Plus particulièrement, le Tribunal constitutionnel a jugé que linterprétation normative dénoncée était beaucoup plus restrictive que celle qui avait effectivement été suivie par la Cour suprême (paragraphes 25 et 27 cidessus). Il ne sest donc pas prononcé sur le fond de la question que la requérante tirait de linconstitutionnalité alléguée de linterprétation normative de larticle 117 § 1 du Statut, restreignant ainsi laccès de lintéressée à sa juridiction.

75.  Eu égard à la nature spécifique du recours devant le Tribunal constitutionnel, la Cour accepte que les conditions daccès à cette juridiction puissent être rigoureuses pour garantir la sécurité juridique et la bonne administration de la justice constitutionnelle au plus haut degré de la hiérarchie judiciaire. La Cour tient également compte du fait que le Tribunal constitutionnel nintervient quen dernier ressort, après que la question de constitutionnalité a été examinée par les tribunaux inférieurs dans la hiérarchie judiciaire, conformément aux articles 70 et 72 § 2 de la LOTC (paragraphe 32 ci-dessus). En effet, en lespèce, aucune voie de recours autre que celle devant le Tribunal constitutionnel, dans la limite des pouvoirs de cette juridiction en matière de contrôle de constitutionnalité, nétait ouverte à la requérante après larrêt de la Cour suprême du 19 septembre 2012.

76.  La Cour note que lintéressée avait déjà soulevé la question fondée sur linterprétation normative litigieuse de larticle 117 § 1 du Statut dans le cadre de son recours devant la Cour suprême contre la décision disciplinaire du CSM (paragraphe 20 ci-dessus). Or, dans son arrêt du 19 septembre 2012, la Cour suprême a jugé que linterprétation normative de larticle 117 § 1 du Statut selon laquelle la sanction applicable ne devait pas être spécifiée dans lacte daccusation était conforme à la Constitution étant donné que le juge accusé dans le cadre dune procédure disciplinaire pouvait anticiper la sanction disciplinaire encourue à partir des faits litigieux figurant dans lacte daccusation. Plus particulièrement, elle a jugé que cette interprétation ne portait pas atteinte au droit à légalité garanti par larticle 13 de la Constitution, au droit à un procès équitable consacré à larticle 20 § 4 de la Constitution et aux droits procéduraux garantis par les articles 32 §§ 1 et 2 et 269 § 3 de la Constitution (paragraphe 22 ci-dessus), répondant ainsi au fond de la question.

77.  Force est donc de constater que ce nest pas linterprétation faite par la Cour suprême dans son arrêt du 19 septembre 2012 (paragraphe 22 cidessus) de larticle 117 § 1 du Statut que la requérante a dénoncé devant le Tribunal constitutionnel, mais celle quelle avait extraite de la décision du CSM du 13 décembre 2011 (paragraphe 18 ci-dessus). Or, comme la relevé le Tribunal constitutionnel, linterprétation faite par la Cour suprême était beaucoup plus large puisquelle indiquait que, même si elle nétait pas mentionnée, la sanction encourue découlait de lexposé des faits litigieux figurant dans lacte daccusation.

En ne précisant pas le sens de linterprétation normative dénoncée telle quelle avait été suivie par le tribunal a quo, à savoir en loccurrence la Cour suprême, la requérante na pas respecté lexigence posée par larticle 79–C de la LOTC, confirmée par la jurisprudence du Tribunal constitutionnel, notamment dans ses arrêts nos 82/92 du 25 février 1992 et 178/95 du 5 avril 1995 (paragraphes 32, 45 et 46 ci-dessus). À titre subsidiaire, la Cour est davis que la requérante disposait des éléments nécessaires pour soumettre valablement cette question en tenant compte de larrêt de la Cour suprême. En effet, elle observe que le Tribunal constitutionnel sétait déjà prononcé sur linconstitutionnalité dinterprétations normatives des articles 117 § 1 et 122 du Statut (paragraphes 41, 42, 43 et 44 ci-dessus). Il appartenait donc à la requérante de formuler la question de linconstitutionnalité de linterprétation normative de larticle 117 § 1 du Statut, telle quelle avait été faite par la Cour suprême, dans son arrêt du 19 septembre 2012.

78.  On ne saurait donc affirmer que les décisions dirrecevabilité rendues, en lespèce, par le Tribunal constitutionnel témoignent dun excès de formalisme. Au contraire, la Cour estime que celles-ci ont assuré la sécurité juridique et une bonne administration de la justice. Le Tribunal constitutionnel a ainsi rétabli la prééminence du droit après un acte de procédure erroné accompli par la requérante (voir, mutatis mutandis, Zubac, précité, § 123).

79.  Quant à savoir si cette dernière aurait dû être invitée à corriger sa demande introductive de recours, la Cour note quune telle possibilité nest ouverte que lorsque ce sont les formalités de la demande introductive du recours constitutionnel mentionnées à larticle 75-A §§ 1-4 de la LOTC qui ne sont pas respectées, tel quindiqué par larticle 75-A § 5 de la LOTC et constaté par une jurisprudence interne (paragraphes 32 et 49 ci-dessus). Or, en lespèce, cest la condition de recevabilité du recours constitutionnel prévue à larticle 79-C de la LOTC qui nétait pas remplie. La possibilité prévue à larticle 75-A § 5 de la LOTC nétait donc pas ouverte à la requérante.

80.  Eu égard à ce qui précède, la Cour estime que les limitations appliquées à la requérante nont pas porté atteinte à la substance de son droit daccès à un tribunal.

81.  Dès lors, il ny a pas eu violation de larticle 6 § 1 de la Convention de ce chef.

  1. SUR LA VIOLATION DE LARTICLE 6 DE LA CONVENTION À RAISON DUN DÉFAUT DÉQUITÉ DE LA PROCÉDURE DISCIPLINAIRE

82.  La requérante se plaint de navoir pris connaissance de la sanction applicable dans le cadre de la procédure disciplinaire ouverte contre elle quau moment de la décision du CSM et de navoir pas pu se défendre à ce sujet. Elle y voit une atteinte au principe du contradictoire et à léquité de la procédure garantie par larticle 6 § 1 de la Convention, qui est ainsi libellé en ses parties pertinentes en lespèce :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...) »

83.  La Cour réitère son constat selon lequel le Tribunal constitutionnel a déclaré le recours de la requérante irrecevable au motif que celle-ci navait pas rempli la condition exigée par larticle 79-C de la LOTC (paragraphes 77 et 80 ci-dessus). Cette juridiction ne sest donc pas prononcée sur le fond de la question tirée de linconstitutionnalité alléguée de linterprétation normative de larticle 117 § 1 du Statut. Par conséquent, la requérante na pas exercé, conformément à larticle 35 § 1 de la Convention, une voie de recours qui lui était ouverte et aurait pu permettre de remédier à son grief (voir, à cet égard, Dos Santos Calado et autres, précité, § 85).

84.  Il sensuit que le grief tiré dun défaut déquité de la procédure doit être rejeté, en application de larticle 35 § 4 de la Convention.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À LUNANIMITÉ,

  1. Déclare le grief tiré dun défaut daccès à un tribunal recevable et le grief tiré dun manque déquité de la procédure irrecevable ;
  2. Dit quil ny a pas eu violation de larticle 6 § 1 de la Convention à raison de latteinte alléguée au droit daccès de la requérante à un tribunal.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 12 janvier 2021, en application de larticle 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Andrea Tamietti, Greffier

Yonko Grozev, Président

 

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Case Details
Originating Body: Court (Fourth Section)
Document Type: Judgment (Merits and Just Satisfaction)
Title: AFFAIRE ALBUQUERQUE FERNANDES c. PORTUGAL
App. No(s). 50160/13
Importance Level: 2
Represented by PAIS DO AMARAL J.
Respondent State(s): Portugal
Judgment Date: 12/01/2021
Conclusion(s)
 
Partiellement irrecevable (Art. 35) Conditions de recevabilité
(Art. 35-1) Épuisement des voies de recours internes
Non-violation de l'article 6 - Droit à un procès équitable (Article 6 - Procédure constitutionnelle
Article 6-1 - Accès à un tribunal)
Article(s)
6
6-1
35
35-1
Separate Opinion(s): No
Domestic Law
 
Articles 70 § 1 b) et 75-A de la loi organique sur le Tribunal constitutionnel
Article 117 § 1 du statut des magistrats du siège
Strasbourg Case-Law
 
Arrozpide Sarasola et autres c. Espagne, nos 65101/16 et 2 autres, §§ 99 et 107-108, 23 octobre 2018
Baka c. Hongrie [GC], no 20261/12, §§ 103-104, CEDH 2016
Boulois c. Luxembourg [GC], no 37575/04, § 90, CEDH 2012
Delcourt c. Belgique, 17 janvier 1970, § 25, série A no 11
Dos Santos Calado et autres c. Portugal, no 55997/14 et 3 autres, 31 mars 2020
Efstathiou et autres c. Grèce, no 36998/02, § 24, 27 juillet 2006
Micallef c. Malte [GC], no 17056/06, § 74, CEDH 2009
Molla Sali c. Grèce [GC], no 20452/14, § 149, 19 décembre 2018
Naït-Liman c. Suisse [GC], no 51357/07, § 115, 15 mars 2018
Nejdet Şahin et Perihan Şahin c. Turquie [GC], no 13279/05, § 49, 20 octobre 2011
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Keywords
 
(Art. 6) Right to a fair trial
(Art. 6) Constitutional proceedings
(Art. 6-1) Access to court
(Art. 35) Admissibility criteria
(Art. 35-1) Exhaustion of domestic remedies
 
ECLI:CE:ECHR:2021:0112JUD005016013

 

European Court of Human Rights | Recent judgments - Recent decisions | HUDOC 

https://hudoc.echr.coe.int/eng#{%22itemid%22:[%22001-207127%22]}

08/10/2024 23:31:02